Accueil 
Le serpent Rouge 
Le sot pecheur 
Les parchemins 
Texte Noel Corbu 
Rapport Cholet 
Rapport Descadeillas 
Entretien Buthion/Jarnac 
Manuscrit Delmas 
Entretien Charroux-Corbu 

 

 

Rapport Descadeillas

 

 

 

 

 

Rapport Descadeillas

[ Télécharger ]

format .doc

 

 René Descadeillas (1909-1986)

Conservateur de la bibliothèque de Carcassonne et Directeur du musée des beaux arts de Carcassonne.

 

 

Notice sur Rennes-le-Château et l'abbé Saunière

Rennes, appelé aujourd'hui Rennes-le-Château pour le distinguer de Rennes-les-Bains, petite station thermale sise à 4 km et jadis dénommée les Bains-de-Rennes, est une bourgade médiocre assise sur la crête d'un plateau qui domine la vallée de l'Aude, à gauche en montant de Carcassonne à Quillan. Le village est aujourd'hui à demi couvert de ruines. On distingue très bien les vestiges d'anciennes fortifications et on devine aisément qu'en raison de sa situation élevée et des obstacles naturels qui en rendent l'approche difficile, il a joué dans le passé un rôle militaire. On présume - la découverte de squelettes entassés en divers lieux, près du village et sur le plateau rend la chose vraisemblable - que Rennes a toujours été habité, avant que les romains viennent en Gaule.

Rennes accusait 50 feux en 1709 (200 habitants à peu près). Il n'en comptait guère davantage en 1750. La population n'a cessé de s'accroître depuis cette date, pour atteindre 450 habitants en 1850 (nouvel exemple de surpeuplement de la zone pré-pyrénéenne au XIXe siècle). Elle a ensuite lentement décru pour retomber en 1901 au chiffre de 217 habitants. Le phénomène de dépopulation qui marque la première moitié du XXe siècle a sévi ici dans toute son intensité : 103 habitants en 1946. Il est douteux qu'en ce moment Rennes ait 100 habitants, car les listes électorales ne mentionnent présentement que 76 inscrits. Dans dix à quinze ans ce pays sera à peu près désert.

Quand, le 1er juin 1885, le curé Bérenger Saunière fut nommé à la succursale de Rennes, le village comptait certainement 300 habitants. Alors âgé de 33 ans, ce prêtre venait d'un petit village du Pays de Sault, dans les Pyrénées, le Clat, proche de l'Ariège. Il était né à Montazels, commune jointe à Couiza, dans la Vallée de l'Aude, à 5 km de Rennes, le 11 avril 1852. C'était un jeune curé de campagne, de haute taille, fortement charpenté : un paysan. On le tenait pour intelligent et modeste. Rien d'anormal n'était apparu jusque là dans son comportement.

Seule anomalie, il était intervenu en chaire pendant les élections du printemps de 1885 en disant : «Les élections du 4 octobre ont déjà donné de magnifiques résultats : la victoire n'est pas complète encore... Le moment est donc solennel et il faut employer toutes nos forces contre nos adversaires : il faut voter et bien voler. Les femmes doivent éclairer les électeurs peu instruits pour les déterminer à nommer des défenseurs de la religion. Que le 18 octobre devienne pour nous une journée de délivrance... » (*). Ces propos rapportés à la Préfecture déterminent le préfet à saisir le ministre des Cultes. L'Evêque, questionné sur la véracité du fait, ayant répondu par des aveux et se refusant à déplacer le prêtre, le préfet conclut à une suspension du traitement à la date du 1er avril 1886 (*). Saunière faisant preuve par la suite d'une tenue correcte, le traitement lui fut restitué au bout de quelques mois.

Bérenger Saunière succédait à Antoine Croc, âgé de 64 ans, et avant lui à Charles Eugène Mocquin âgé de 45 ans, prêtres sans histoire. A son arrivée, il trouva l'église dans le plus triste état. L'intérieur était vétuste, en partie ruiné, l'extérieur dégradé. Le clocher menaçait ruine, la voûte était fissurée, il pleuvait sur le maître-autel (*). Renouvelant les démarches de ses prédécesseurs, Saunière tenta d'obtenir une aide financière pour réparer le monument.

C'est en 1888 que commencent les réparations. On remarque dès ce moment dans les délibérations du conseil de fabrique (Arch. Aude, V-88), que le curé Saunière avance à la caisse une somme de 518 francs.

Le prêtre avait donc personnellement de l'argent. Or, on ne lui avait jamais connu de ressources particulières, et il reste douteux que le montant des économies qu'il aurait pu réaliser à Rennes sur son traitement et son casuel atteigne en deux ans et demi plus de 500 francs, somme élevée à cette époque. Or, cette libéralité n'est que la première et pas la moins importante de toutes celles par lesquelles va se singulariser l'abbé Saunière.

Les réparations concernent, entre autres, le maître-autel. Or, l'église de Rennes, de construction très ancienne si on en croit un rapport de l'architecte diocésain M. Cals, de Carcassonne ( Arch. Aude, série O-Rennes)*, possédait un autel primitif, fait d'une table de pierre soutenue en avant par deux piliers carrés, dont l'un portait des sculptures archaïques*. Il paraît - plusieurs témoins existent encore, et ils sont formels - qu'en descellant l'entablement, on découvrit une cavité emplie de fougère sèche, au milieu de laquelle on distinguait deux ou trois rouleaux. Il s'agissait de parchemins dont le curé se saisit. Il déclara - c'est un témoin qui parle - qu'il allait les lire et les traduire s'il le pouvait. Le maire, informé du fait, demanda la traduction au curé ; celui-ci lui confia peu après une traduction écrite de sa main. Le texte traduit se rapportait, parait-il, à la construction de l'église et de l'autel. On ne sait pas ce qu'est devenu le document.

Le curé aurait descellé également les dalles qui pavaient l'église et fouillé le sol. Il existe des témoins de ce fait, dont un vieillard qui était alors un enfant et suivait le catéchisme.

Une sœur de lait de la bonne du curé, qui vit encore, ne dissimule pas qu'en réparant l'église, le curé aurait trouvé un pot (une oule, terme languedocien) rempli de pièces d'or. Ce fait me paraît très possible car il est normal que le malheureux prédécesseur de Saunière, l'abbé Antoine Bigou, un vieillard de 70 ans, contraint de passer la frontière espagnole en septembre 1792, ait enfoui là son magot, en même temps que les objets du culte qu'il voulait soustraire aux futurs inventaires. Ce n'est évidemment qu'une hypothèse, mais mes recherches sur Rennes au XVIIe siècle et pendant l'époque révolutionnaire me permettent de la former. Toutefois, ce n'était pas un trésor au sens commun du terme, mais un simple magot.

Quoi qu'il en soit, à partir de ce moment (la période de 1888 à 1890), le curé va consentir des dépenses, des libéralités surprenantes.

Le 21 juin 1891, grande solennité à l'occasion de la première communion. Le curé fait installer et bénir sur un terrain communal sis devant la porte de l'église une statue de la Vierge, qu'il appelle Notre-Dame de Lourdes, et qui a pour socle un des deux piliers (*) qui soutenaient jusqu'alors le maître-autel. Comme les sculptures qui couvrent ce piller sont à demi effacées, le curé de Rennes avait confié à un artisan de Couiza la tâche de les approfondir au ciseau. Le résultat ne fut pas très heureux, comme on peut toujours en juger.

Mais le curé ne s'est pas contenté d'acquérir cet emplacement qu'il a consacré à la Vierge, et qui confronte un terrain triangulaire où les fidèles ont l'habitude de stationner au sortir des offices. C'est, si l'on veut, un semblant de place publique. Il a demandé au conseil municipal l'autorisation d'utiliser ce terrain, de le faire clôturer à ses frais, d'y élever des monuments religieux... Le 15 février 1891, le conseil municipal reçoit la demande du prêtre et, en refusant d'aliéner le terrain qui est et reste communal, en interdisant au curé d'y construire des couverts*, déclare : l°) que la place quoique clôturée aux frais et charges du curé ne lui confère (sic) aucun droit, ni à lui ni à ses successeurs, ni à la fabrique et reste propriété communale ; Que qui que ce soit aura le droit de pénétrer dans l'enclos soit pour visiter les monuments qui y seront élevés, soit pour se rendre au cimetière ; 2') que toutes les portes qui Serineront les différentes entrées de cette place seront pourvues de clés dont une sera déposée entre les mains du maire ou de son délégué ; 3') que celle place, une fois clôturée restera ouverte les dimanches et les jours fériés ainsi que les jours de fête, soit communales et même nationales, du lever au coucher du soleil (Arch. Aude, série O-Rennes). Tout est fait régulièrement, enquête de commodo et incommodo.

Sur ces entrefaites éclatent les incidents de juillet 1895.

Le curé avait fait construire des parterres figurant un petit jardin, il les avait ornés de concrétions calcaires qu'il avait été chercher dans des grottes, aux environs du village. Mais, outrepassant l'avis du conseil municipal, il avait fait élever dans un angle joignant le cimetière un petit édifice, ce qui lui était interdit explicitement. L'autorité municipale n'ayant pas protesté, le curé avait installé dans la maisonnette sa bibliothèque et son cabinet de travail. L'édicule était surélevé par rapport au niveau du jardin et, conformément à la coutume, dans ce pays dépourvu d'eau, on avait creusé le sol au-dessous de la construction pour pratiquer une vaste cavité, c'était une citerne.

Or, le 14 juillet 1895, un incendie d'une violence inouïe ravagea deux ou trois bâtiments à proximité de l'église. C'étaient des locaux à usage de grenier, entourés de granges bourrées de foin. On craignait que le feu ne se propageât aisément à tout un quartier. Aussi, les pompiers coururent-ils à la citerne du curé pour prendre de l'eau. Le curé, qui avait seul la clé du local, leur refusa l'entrée. Il fallut pénétrer de force dans la maisonnette. Le lendemain, le curé se rendit à la gendarmerie de Couiza et déposa une plainte en violation de domicile.

C'en était trop. Le conseil municipal prit le 20 juillet une nouvelle délibération. Il ordonna au curé de réintégrer le presbytère et d'installer ailleurs son cabinet et sa bibliothèque. Le local resterait fermé seulement au loquet et servirait à entreposer les vases du parterre. Quant aux issues de la place publique clôturée, elles ne seraient plus fermées à clé, même pendant la nuit.

Le curé s'inclina.

Peu de temps auparavant, il avait provoqué des réclamations à l'autorité préfectorale, de la part de plusieurs de ses concitoyens. L'abbé Saunière s'enfermait de nuit dans le cimetière et y procédait à d'étranges bouleversements. D'ailleurs voici le texte des deux pétitions qui ont été conservées. et que nous reproduisons sans en changer un mot :

12 Marsl895

Monsieur le Préfet.

Nous avons l'honneur de vous prévenir qu'à l'accord du conseil municipal de Rennes-le-Château, à la réunion qui a eu lieu dimanche 10 mars 1895 à 1 heure de l'après-midi dans la salle de la mairie, nous, électeurs, protestons qu'à leur décision le dit travail qu'on donne droit au curé de continuer n'est d'aucune utilité et que nous joignons pour appui à la première plainte notre désir d'être libres et maîtres de soigner chacun les tombes de nos devanciers qui y reposent et que M. le curé n'ait pas le droit qu'après que nous avons fait des embellissements ou placé des croix et des couronnes, que tout soit remué, levé ou changé dans un coin.

         Signé…

Et celle-ci, d'une langue plus pittoresque encore :

14 Mars 1895

Monsieur le Préfet.

Nous ne sommes pas du tout contents que le cimetière se travaille surtout dans les conditions qu'il a été jusqu'ici ; s'il y a des croix, elles sont enlevées, des pierres sur les tombes aussi et en même temps ce dit travail ne consiste ni pour réparations ni rien.

            Signé...        (Arch. Aude, série O-Rennes)

On enjoignit donc à l'abbé Saunière de cesser de bouleverser le cimetière. Mais qu'y faisait-il ? Pourquoi bouleversait-il les tombes ? Mystère.

Il subvint pourtant aux frais de restauration du cimetière Il fit construire un mur de clôture, et l'ébauche d'un ossuaire qu'il n'a pas achevé. Entre septembre et novembre 1897, on trouve indication de ses dépenses dans ce qui subsiste des comptes qu'il a laissés.

En même temps, on acheva les grandes réparations de l'église. On refit la voûte et on la peignit entre le 1er novembre 1896 et la fin d'avril 1897. Le curé paya.

Tout cela n'était encore rien.

Le curé habitait le presbytère qu'il avait fait également réparer. Mais il voulait construire de vastes édifices.

Dans le courant de l'année 1900, il acquit de plusieurs personnes des terrains non bâtis sis au sud de l'église et du presbytère, en bordure du plateau. En même temps, il acheta de vieilles granges en partie ruinées, bordant la rue, et confrontant à l'est la cour du presbytère. Mais - il convient de le préciser - l'abbé Saunière n'acquit pas ces terrains en son nom : il les acheta au nom de diverses personnes, notamment de sa servante, Marie Dénarnaud, originaire de Couiza, de vingt ans plus jeune que lui, au nom de parents de celles-ci, au nom de diverses personnes de leurs relations. Et en 1901, il entreprit, sur l'emplacement des granges de construire une «villa» en pierres de taille, d'un goût discutable, qu'il appela la villa Béthanie, de style Renaissance. De l'autre côté de la rue, sur un vaste terrain, il fit dessiner un jardin, édifier des serres et des remises.

Ce n'est pas tout.

Entre la bordure du plateau rocheux, bordure qui avait supporté jadis des fortifications, et la limite du cimetière et de l'église, le curé possédait maintenant une large étendue de terrain vague, inégale, parsemée çà et là d'excroissances rocheuses. Il la fit remblayer. On y versa des tonnes et des tonnes de terre meuble, on la tassa. Puis le curé entreprit le gros œuvre. Il refit l'ancien mur d'enceinte du village suivant l'angle arrondi du plateau, mur d'une grande épaisseur, creux et contenant de vastes citernes. A chaque extrémité, une tour ; l'une modeste, ne dépassant pas le niveau du rempart et surmontée d'une verrière en forme de belvédère- l'autre, à deux étages au-dessus du rempart, munie de créneaux et d'une échauguette. Le tout avec escalier d'accès double. C'est la tour dite de Magdala. Et sur tout l'espace ainsi clôturé, il fit dessiner des jardins.

Il installa son cabinet de travail et sa bibliothèque dans cette tour à étage, qui dominait le pays et devint bientôt célèbre.

Pour enfermer ses livres, il fit construire par un négociant en meubles de Carcassonne quatre bibliothèques d'angle en chêne, au prix de 10 000 F, qu'on disposa en 1908. Cependant, le curé n'élut pas domicile dans la villa de Béthanie et continua d'habiter le presbytère que, par acte du 24 mars 1907, il avait loué à la commune pour un prix de location annuel de 20 francs, et pour cinq ans. Le bail, qui serait tacitement reconduit, se trouverait résilié de plein droit en cas de décès ou de déplacement du preneur.

Il démissionna de la succursale de Rennes le 1er février 1908.

Il avait pris la précaution de faire construire, dans sa villa de Béthanie, un autel où il disait sa messe.

Appréhendait-il quelque orage ?

L'homme était fruste, peu instruit - le goût discutable dont il fait preuve dans ses constructions et ses restaurations en témoigne amplement -, mais rusé et étrangement positif. Il se doutait bien que sa conduite étrange provoquerait chez nombre de ses collègues et chez ses supérieurs au moins la curiosité. Quelles étaient ses ressources ? D'où venaient-elles ? Il vivait très largement. Chez lui, on tenait table ouverte et, postérieurement à 1900, il n'était pas de semaine où il ne reçut fastueusement. On faisait état de ses relations avec Emma Calvet, de l'Opéra, originaire de l'Aveyron, qui venait le voir à Rennes ; avec des hommes politiques locaux, Dujardin-Beaumetz, né en 1852, conseiller général de Limoux, député de l'Aude sans interruption depuis 1889, qui devait être secrétaire d'état aux beaux-arts. D'autres moins connus, chefs locaux ou régionaux du parti radical-socialiste, déjà très puissants dans l'Aude. Avec des notables, industriels, négociants, Saunière n'avait pas de préjugés sociaux. Il traitait également bien les ouvriers qui venaient à Rennes travailler pour son compte. Notamment, aussi bien à leur arrivée le matin que le midi, ceux-ci déjeunaient chez lui copieusement ; ils travaillaient avec joie à Rennes. Saunière tenait un journal de l'ordre des travaux, et il subsiste quelques feuilles de ses registres. J'ai pu les compulser. Ainsi recherchait-on les invitations du curé de Rennes. Certains de ses confrères avaient pris l'habitude de venir souvent le voir, et même de séjourner chez lui. Marie Denarnaud était, à n'en pas douter, une incomparable cuisinière.

On trouvait chez lui une cave remarquable, connue dans toute la contrée. Les murs du cellier étaient tapissés de casiers. Quand, dans un pays quelconque, on citait une année fameuse pour un cru, le curé commandait quelques bouteilles. Ainsi voyait-on un casier contenant cinq ou six litres avec l'étiquette manuscrite: Tokay de l'année X... Chaque bouteille ma coûté X...F. On consommait chez lui beaucoup de rhum. On mangeait bien et on buvait sec.

Déjà, à la fin de l'année 1899, le curé Saunière avait été proposé par l'ordinaire à l'agrément du préfet pour un persona. La proposition entraîna, comme il était alors de règle, une enquête administrative menée par le sous-préfet de Limoux. Le 16 octobre 1899, ce fonctionnaire répond au préfet : «M. L'abbé Saunière est dans une situation de fortune aisée. Il n'a pas de charges de famille. Sa conduite est bonne. Il professe des opinions antigouvernementales. Attitude: réactionnaire militant. Avis défavorable. » ( Arch. Aude). L'abbé Saunière ne fut pas nommé. Mais il n'est pas certain qu'il ait désiré quitter Rennes.

Son comportement au point de vue politique, en 1899, dément les relations qu'il aura cinq ou six ans plus tard avec des hommes de gauche, au plus fort de la crise, quand il est question de la séparation de l'église et de l'état. Je crois qu'il faut expliquer cette anomalie non par un changement d'attitude, mais par l'effet de la diplomatie et du savoir-faire du curé de Rennes, monstre d'habilité.

Dans tout ce dont il a été question jusqu'à présent, la critique ne peut relever que des anomalies. Cependant, il est un côté par lequel l'abbé Saunière pouvait à bon droit encourir des reproches.

On avait remarqué, on savait que le prêtre s'absentait fréquemment et pendant plusieurs jours sans l'autorisation de l'ordinaire Prévoyant, il supputait avant de partir la qualité des personnes qui pourraient lui écrire, et il préparait d'avance des réponses. Il y en avait pour l'évêque, pour le chancelier de l'Evêché, pour le grand vicaire, pour des curés ses collègues. Et sauf les formules qui pouvaient varier, elles étaient ainsi conçues. Par exemple :

Rennes-le-Chateau, le...

Monseigneur,

.J'ai lu avec le plus humble respect la lettre que vous me faites l'honneur de m'écrire et à laquelle je prête la plus filiale attention. Croyez que l'intérêt de la question que vous soulevé ne m'échappe pas, mais elle mérite réflexion. Aussi, souffrez que, pris par une occupation urgente, je remette à quelques jours ma réponse.

Je vous prie de daigner agréer, Monseigneur, etc...

Invariablement, quand le curé de Rennes prenait le chemin de fer, en gare de Couiza, il prenait la même direction : Perpignan. Plusieurs témoins l'attestent. Il est permis de penser que, dans cette ville toute proche et hors du diocèse, il avait ses intérêts. Il est dommage que l'éloignement de ces faits ne permette plus de savoir à quelle banque il s'adressait.

De plus, à certaines périodes, le curé de Rennes recevait chaque jour une grande quantité de mandats, - jusqu'à 100 et 150 F par jour -, portant de petites sommes allant de 5 à 40 F. Des mandats lui étaient payés à domicile à Rennes. Beaucoup d'autres lui étaient adressés poste restante à Couiza, où il allait les monnayer. Une des receveuses qui les lui payait vit encore.

Ces mandats étaient d'origine très diverse. La plupart d'entre eux venaient de France ; mais beaucoup aussi de Rhénanie, de Suisse, d'Italie du nord. Certains, comme en fait foi un fragment de registre, émanaient de communautés religieuses. Ces mandats représentaient des intentions de messes.

L'abbé Saunière trafiquait de la messe.

Tant que Mgr Félix-Arsène BILLARD fut à la tête du diocèse, nul ne demanda d'explications à l'abbé Saunière. Mais quand Mgr de Beauséjour eut remplacé Mgr BILLARD, il en fut autrement.

L'attention de l'Evêché fut attirée par des lettres venant de personnes privées, qui demandaient si on pouvait avoir confiance en l'abbé Saunière, et lui confier des intentions de messes. Le fait n'était pas nouveau et déjà, sous l'autorité de Mgr BILLARD, on avait défendu au curé de Rennes de quémander des intentions de messes hors du diocèse. Or, des demandes de renseignements arrivaient encore, alors que, d'autre part, les constructions du curé de Rennes et sa vie fastueuse - en tout cas très au-dessus de ses moyens reconnus - provoquaient, dans le clergé et jusqu'au chef-lieu, des commentaires.

Mgr de Beauséjour demanda donc à son préposé une justification de ses ressources. Saunière répondit par des propos vagues et dilatoires, desquels on conclut qu'il n'avait pas l'intention de les dévoiler. Une discussion s'ensuivit, à sens unique, car l'évêque était seul à parler. Saunière était devenu sourd. Aussi Mgr de Beauséjour nomma-t-il Saunière à une cure, dans les Corbières, à Coustouges. Saunière alla visiter la cure, parut accepter et tout d'un coup écrivit à son évêque une lettre où il disait en substance : « Monseigneur, j'ai lu votre lettre avec le plus extrême respect et j'ai pris connaissance des intentions dont vous voulez bien me faire-part. Mais si notre religion nous commande de considérer avant tout nos intérêts spirituels et si ceux-ci sont assurément là-haut, elle ne nous ordonne pas de négliger nos intérêts matériels, qui sont ici-bas. Et les miens sont à Rennes et non ailleurs. Je vous le déclare, non, Monseigneur, je ne m'en irai jamais...» Saunière refusait donc de quitter Rennes, en des termes qui paraissent surprenant et qui tendent à bouleverser nos idées reçues sur la discipline ecclésiastique. Quoiqu'il en soit, il se rendait coupable de rébellion contre son évêque. C'en était trop. Mgr de Beauséjour ne pouvait évidemment pas laisser bafouer son autorité. Le 27 mai 1910, Saunière était traduit devant l'Officialité du diocèse pour avoir continué, en dépit d'ordres reçus de l'évêque et des promesses faites à celui-ci, de demander des messes hors du diocèse. Cité à comparaître le 16 juillet, Saunière ne se présente pas. Convoqué le 23 par citation péremptoire, il ne comparait pas davantage.

Le 23, jugeant par défaut, l'Officialité rend une sentence le condamnant pour trafic de messes, dépenses exagérées et non justifiées auxquelles semblent avoir été consacrés les honoraires de messes non acquittées, désobéissance à son évêque, à une suspens a divinis d'une durée d'un mois et à la restitution des honoraires non acquittées, sans qu'on puisse les déterminer.

Mais Saunière ayant obtenu de l'évêque la restitutio causae in integrum, il est cité à nouveau le 23 août. Il désigne comme avocat Maitre Mis, du barreau de Limoux, puis le docteur chanoine Huguet, curé de Espiens, au diocèse d'Agen. Le 15 octobre, sur renvoi débat contradictoire, Saunière, qui ne s'est pas rendu à la citation, est représenté par le chanoine Huguet. Le 5 novembre, la sentence exige que Saunière se rende dans une maison de retraite pendant dix jours et s'y livre à des exercices spirituels, qu'il rende des comptes à son évêque dans le délai d'un mois et qu'il lui fournisse communication des sommes exactes qu'il a indiquées dans sa défense.

Le 30 décembre, constatant que le délai est écoulé sans que Saunière se soit exécuté, l'Official le cite à comparaître devant l'évêque le 9 janvier 1911 avec ses comptes. Mais Saunière écrit à Rome pour se faire réintégrer dans la cure de Rennes, à laquelle il a renoncé volontairement en 1909 par décision écrite. Il sollicite des délais. Il n'a pas pu faire la retraite qui était ordonnée, son état de santé ne le met pas à même d'exécuter les exercices prescrits : plus encore, il est dans un état tel qu'il ne peut supporter aucune émotion. On lui enjoint impérativement de présenter ses comptes par envoi, par poste ou autrement, s'il ne peut personnellement se présenter. Il est cité à comparaître de nouveau devant l'Officialité pour avoir éludé la sentence du 5 novembre 1910.

Saunière attaque alors les citations.

Mais le 5 décembre, la sentence est rendue par défaut : il est reconnu coupable de dilapidation et de détournement de fonds dont il était dépositaire, condamné à une suspense à divinis de trois mois, et en tout cas jusqu'à ce qu'il ait opéré la restitution des sommes détournées, le tout par contumace et sans appel.

La Semaine Religieuse et le journal l'Eclair de Montpellier publient à cette date un communiqué informant les fidèles que Saunière n'a plus le droit de dire la messe à partir du 5 décembre 1910. Il est privé de ses fonctions sacerdotales.

Pour sa défense, l'inculpé n'a fourni qu'un document explicite. Le voici :

1. Achat du terrain 

1.550 F

2. Restauration de l'église 

16.200 F

3. Calvaire   

11.200 F

4. Villa Béthanie

90.000 F

5. Terrasse, jardins

19.050 F

6. Tour Magdala

40.000 F

7. Aménagement du tout

5.000 F

8. Ameublement 

10.000 F

Total:

193000 F

Il s'agit d'une somme énorme à cette époque.

Quant aux questions qui avaient été posées au curé de Rennes par l'Official et dont nous ne possédons pas l'énoncé, voici les réponses du curé de Rennes :

1°) Il y a vingt ans, j'ai pris chez moi une famille composée du père, de la mère et de deux enfants. Le père et la mère gagnaient 300 francs par mois. Nos fonds étaient mis en commun. De là une somme économisée de 52 000 francs. La famille appartenait à l'industrie des chapeaux

2°) Le tronc était destiné aux visiteurs qui, après avoir entendu mes explications sur Rennes et accepté mes politesses, récompensaient ma complaisance par une aumône qui, en définitive, était un pourboire. Comme les baigneurs de Rennes-les-Bains étaient nombreux, ceci explique leur générosité.

3°) Donner une date quelconque pour la loterie.

4°) Mon frère étant prédicateur avait de nombreuses relations. Il servait d'intermédiaire à ces générosités. Donnez des dates, si vous le pouvez, exactes ou non.

5°) Les cartes postales sont des vues de Rennes-le-Château. Il y en a 31. Tous les baigneurs prennent la collection complète, soit 3, 1 0 F pour chacun. Ces cartes ont lin tel succès que je puis à peine leur en fournir. Ces cartes sont neuves et ma propriété.

6°) Ma collection de vieux timbres se chiffre par 100.000. Elle est complète et, pour la vente, je nie conforme aux prix adoptés. Les amateurs, très heureux de se fournir, ne marchandent jamais.

7°) Les vieux meubles, faïences et étoffes sont le résultat de mes fouilles dans le pays. La vente me dédommage de mes recherches et de mes courses.

8°) Les bandes et copies, je les fais faire par de jeunes gens, pour le compte des journaux et des prospectus. Ils sont satisfaits du prix que je leur offre et j'ai encore un avantage sur eux.

9°) Pourquoi ne ferais-je pas figurer à l'actif les transports gratuits et mon travail personnel ? N'était-ce pas une économie réelle pour moi ?

Ce document était certainement un projet de réponse à l'Official destiné au chanoine Huguet, avocat du prévenu. Il est douteux qu'il en ait fait état au procès. Il n'a pu l'utiliser, nous semble-t-il, que comme aide-mémoire.

Qu'advient-il maintenant du curé de Rennes ?

Bérenger Saunière sait qu'il va être interdit. De ce fait, il redoute une diminution de ses revenus et il ne dissimule pas cette appréhension dans ses lettres au chanoine Huguet, son avocat, ou à ses amis. Dès le début de novembre 1911, Saunière envisage de vendre ce qu'il possède à Rennes et de se retirer dans une retraite plus modeste et de moindres frais. « Dans mon endroit natal, lui écrit à cette date le chanoine Huguet à 1 km de la gare, un de nos grands chanteurs, Jérôme, avait fait des folies pour une installation. Un rhume lui a coupé le sifflet. Il est sans voix, il a un modeste commerce à Paris. Il veut vendre son établissement. On parle d'une douzaine de mille francs, et l'installation en vaut soixante. Dans l'hypothèse, vous tirerez la révérence à Carcassonne et je vous patronnerais près de mon évêque et vous vivriez tranquille dans cette situation splendide. Vendez et ensuite nous verrons ce que vous pourrez faire...»

Le 27 novembre, le curé entre en rapport avec la banque Petitjean, dont le siège est à Paris. « Nous ne pouvons que regretter votre décision, lui écrit-on du siège social, concernant les frais préliminaires. Nous allons quand même nous occuper de votre affaire en recourant à nos moyens personnels, aux conditions que vous nous proposez, mais nous doutons fort d'y réussir. » En effet, la banque a envoyé à Rennes un de ses préposés, M. de Bauvière, en poste à Agen. Le 29 novembre, il écrit à l'abbé Saunière : « Je ne puis que vous confirmer nos conditions. La banque Petitjean a coutume de poser ses conditions. C'est une maison assez ancienne et connue pour savoir ce qu'elle doit proposer, et n'accepte jamais de contre-proposition de ses clients. Vous êtes seul juge de votre côté de ce que vous avez à faire. Pour moi, personnellement, je n'ai pas à m'occuper de quoi que ce soit en dehors de la banque. Aucun client ne pourrait m'indemniser de ce que je perdrais si j'acceptais de m 'occuper d'affaires en dehors de la maison. C'est d'abord une simple question d'honnêteté et ensuite et surtout mon intérêt. Inutile donc de compter sur mon concours, c'est regrettable et surtout pour vous. »

On devine que Saunière avait demandé au fondé de pouvoir de la banque Petitjean de traiter la vente de ses biens pour son compte, sans y mêler la banque, en promettant bien entendu une commission substantielle. Mais le sieur de Bauvière était prudent. L'affaire en resta là.

En octobre 1912, comprenant qu'on ne lui achèterait pas Rennes, Saunière cherche un autre moyen de se procurer de l'argent. Il s'adresse à son ancien avocat, le chanoine Huguet, et lui demande quelle marche suivre pour entrer en rapport avec le Crédit Foncier : «Je, comprends, lui répond le chanoine Huguet votre désir de vous soustraire aux soucis pécuniaires qui résultent de votre situation. Vous avez dû avancer la question, si elle n'est pas déjà conclue. Mais, comme je vous l'avais expliqué, vous avez reçu la visite d'un délégué du Crédit afin de faire l'estimation de l'immeuble et d'établir sa valeur vénale. Dieu veuille que vous ayez réussi... » Et quelques jours plus tard, le chanoine Huguet ajoute : « Je souhaite que le Crédit Foncier se montre accommodant et vous consente un prêt avantageux. Tout cela dépend en grande partie du rapport qui est fait. » Le montant du prêt ne fut guère élevé, car le 31 janvier 1913, le chanoine Huguet écrit à l'abbé Saunière : «J'ai trouvé dans votre lettre une telle impression de découragement que j'étais désireux de remonter un peu votre esprit. Je devine la déception que vous avez dû éprouver en apprenant que le Crédit Foncier ne vous accordait qu'une si petite somme en retour des garanties que vous lui offriez. Connaissant les habitudes de celle société, j'en arrive à conclure que l'inspecteur qui est venu chez vous n'a pas dû rédiger un rapport enthousiaste et convaincant sur la situation que vous lui présentiez. Il faut espérer que vous aurez la bonne fortune de trouver quelque acheteur qui se coiffera de votre immeuble et que le prix de vente vous dédommagera des sommes considérables dépensées à votre villa. Sans doute il faut des rentes pour vivre là haut, mais un amateur qui se lancera dans cette affaire en aura sûrement, et il aura sur ce sommet une charmante résidence. »

Nous savons que jamais l'abbé Saunière ne vendit ses bâtisses et qu'il resta là, gêné, peut-être besogneux, désormais sans moyens de se procurer de l'argent.

Il avait même des dettes.

Au temps de sa prospérité, quand il commandait une marchandise, il versait un acompte et signait des traites pour le solde. Mais aucune de ces traites ne dépassait la somme de 500 F. Encore avait-il soin de les échelonner afin de répartir les échéances proportionnellement à ses entrées de fonds. Ce fait nous porte à croire que le trafic de messes produisait un revenu régulier et que l'abbé savait parfaitement jusqu'à quel point il pouvait s'engager. Quand la sentence de l'Officialité mit pour toujours fin à son industrie, des traites restaient en circulation. Nous pouvons citer celles qu'il avait lancées en paiement de sa bibliothèque, commandée en 1908 à M. Noubel, négociant en meubles à Carcassonne, et livrée quelques mois plus tard. A partir de 1911, l'abbé Saunière cessa de payer les traites souscrites, et le solde de son compte n'a jamais été réglé.

Au moment de la déclaration de guerre, le 2 août 1914, l'aura du curé de Rennes était franchement mauvaise. Le docteur Espezel, de Couiza, proclamait dans les rues de la petite cité et ailleurs, urbi et orbi, que Saunière était un agent de renseignements aux gages des Empires Centraux, en quelque sorte un espion de l'Allemagne ! Il ajoutait, - ce qui nous parait aujourd'hui ridicule mais qui, à cette époque-là, paraissait plausible à beaucoup, car l'espionnite sévissait jusque dans nos régions, - que les terrasses construites à Rennes n'avaient été faites aussi larges que pour supporter des pièces d'artillerie ! Les langues allaient leur train. Les gens se rappelaient en effet avoir vu venir à Rennes celui qu'ils appelaient l'étranger, et qu'on, dit avoir été un aristocrate austro-hongrois, sujet de François Joseph...

Le temps de la splendeur était à jamais passé. Saunière vieillissait dans son domaine, entouré des soins de sa servante Marie Denarnaud, encore jeune et coquette. Un après-midi de janvier 1917, dans son cabinet de travail de la tour Magdala, il fut frappé d'une attaque. Informé aussitôt, son confrère le curé d'Espéraza, un vieillard qui n'entretenait avec Saunière que des rapports assez froids, monta jusqu'à Rennes porter au malheureux les derniers sacrements. Il trouva Saunière abattu, mais lucide et en état de parler. Il reçut sa confession, Quelques heures après, Saunière trépassa (*).

Le curé d'Espéraza fut donc le seul à connaître le secret. Jamais un mot n'est sorti de sa bouche qui pût mettre des tiers sur la voie de la vérité. Mais, - nous tenons ces détails d'un prêtre - les auxiliaires et les amis du curé d'Espéraza remarquèrent qu'à partir de ce jour-là, le vieux curé ne fut plus le même homme, il avait manifestement reçu un choc.

Longtemps, Marie Dénarnaud vécut au presbytère et à la villa Béthanie. Trois mois après la mort du curé, elle avait renouvelé à son nom le bail passé jadis entre Saunière et la commune : elle devenait désormais locataire pour, neuf ans du presbytère de Rennes, au prix de location de 50 F par an. D'après le testament que nous connaissons, elle était substituée au curé de Rennes dans tous les biens de celui-ci: Meubles et immeubles. Saunière lui avait tout donné sans qu'il soit procédé à un inventaire auquel, avait-il écrit, «je veux absolument soustraire ma légataire universelle » (1912). Elle continuait à payer les intérêts de la somme prêtée par le Crédit Foncier. Des reçus en font foi (ceux que nous avons vus datent de 1935). Marie Dénarnaud vécut gênée. Elle eut à répondre aux créanciers qui vinrent solliciter le paiement de factures arriérées ou laissées en souffrance. Elle fit à certains d'entre eux des versements symboliques (50 F, 100 F). Puis, on cessa de la persécuter.

Il est exact que, pressée par la nécessité, elle vendit beaucoup d'objets ; elle en laissa emporter d'autres. Il est exact que les collections du curé Saunière furent pillées.

C'est probablement par un acte de rente viagère qu'elle vendit son bien aux actuels propriétaires de la villa Béthanie, en 1947. Elle s'éteignit, en 1953, à un âge avancé.

Que faut-il penser de cette histoire extraordinaire ? Quel homme fut, en réalité, le curé de Rennes ?

Il laissait dire, évidemment, qu'il avait trouvé un trésor. Depuis des siècles existait dans le pays une légende tenace dont Labouisse-Rochefort, dans son Voyage à Rennes-les-Bains, écrit en 1803, nous donne la version la plus authentique. Cette légende reparut, sous une autre forme, et se déplaça de Rennes-les-Bains à Rennes-le-Château. Cela faisait l'affaire du curé de Rennes, puisqu'on dressait ainsi le paravent à l'abri duquel il pouvait poursuivre en toute tranquillité ses agissements. Il fit ce qu'il pût pour entretenir la légende et la fortifier. Il s'agissait d'or gardé par le Diable. Eh bien, il fit sculpter un diable, gueule ouverte, ailes déployées, muni d'yeux brillants, qu'il disposa à l'entrée de son église pour soutenir un bénitier. Il inspirait une crainte superstitieuse. Ce n'était pas difficile, dans un pays, réputé depuis le XVIIe siècle pour s'adonner à la sorcellerie, à la magie. Cette réputation n'a d'ailleurs pas disparu. Elle est toujours fondée.

 Je ne crois pas que le curé de Rennes ait été aussi noir qu'on le dit, ou qu'on le laisse entendre. Et, à bien regarder, à lire entre les lignes, on découvre l'essentiel, l'explication du mystère. Au moins les grandes lignes.

Le trafic de messes ? Il l'a avoué. Il n'y a pas de question à ce sujet. Mais - pour en revenir aux propos de Mgr de Beauséjour -, ce trafic, quelle qu'ait été son importance, n'a pas produit de sommes suffisantes pour lui permettre d'édifier de telles constructions et, en même temps de vivre aussi largement. Il y eut donc autre chose.

Mais cela encore, le curé l'a écrit. On le trouve dans ses brouillons de mémoires en défense, qui ne furent jamais produits, dans les lettres que lui écrivaient, au moment de son procès, d'autres curés ses amis et qui, eux, savaient.

Le curé de Rennes a reçu des dons.

Comment a-t-il pu les provoquer ?

Il nous le dit lui-même dans l'aide mémoire qu'il destinait au chanoine Huguet, son avocat, au moment du procès. Reprenons le texte : « Mon frère, a-t-il écrit, étant prédicateur, avait de nombreuses relations. Il servit d'intermédiaire à ces générosités. » En effet, on ne parle jamais du frère du curé de Rennes, l'abbé Alfred Saunière. Il fut, lui aussi, un bien curieux personnage.

Né en 1855, et de trois ans plus jeune que son aîné, il fit de bonnes études et fut nommé vicaire à Alzonne, près de Carcassonne, le 1er juillet 1878. De 1879 à 1893, il enseigna dans des établissements appartenant à la Compagnie de Jésus, sans avoir lui-même adhéré à l'ordre. En 1893, il était professeur au Petit Séminaire de Narbonne et devint, en 1897, aumônier du patronage de cette ville. Spécialiste de la prédication, il sortait beaucoup, voyageait. Il avait lui aussi le goût des affaires. Lors de la succession des parents Saunière, à Montazels, c'est à lui qu'échut le bien de famille. Mais ce bien fut vendu, car Alfred avait fait de mauvaises affaires. Le malheureux avait la manie d'acheter à tort et à travers. Il payait s'il pouvait. Il menait en outre une vie immorale. Et ce furent là deux motifs qui amenèrent son interdiction. Malade, retiré dans sa maison natale - rachetée par sa sœur - en 1904, alcoolique, il mourut le 9 septembre 1905.

Est-ce par son intermédiaire que le curé de Rennes fut mis en rapport avec son ou ses donateurs ? Il y a tout lieu de le croire. Si ces dons ne furent pas nombreux, ils furent abondants ou consistants. Au moment de son procès, Bérenger Saunière écrivait : «Monseigneur veut absolument savoir la source, l'origine de tout cet argent qui ma servi à ces constructions. Il tient absolument à connaître les noms des personnes qui me l'ont donné, les sommes qu'elles m'ont confiées et latin pour laquelle, dans l'intention de ces personnes, cet argent m'a été donné. Il veut en un mois que je lui présente un livre de comptes de mes travaux avec le détail des recettes et des dépenses. Or, ce livre qu'il me réclame n'existe pas. Il ne me reste que quelques reçus ou quittances insignifiante, et dans la supposition que ce livre existerait, je ne nie croirait point obligé en conscience de le mettre entre ses mains. Il ne saurait m'obliger non plus à divulguer les noms de mes donateurs et donatrices, car les faire paraître au jour sans y être autorisé, serait s'exposer à porter le trouble dans certaines familles ou ménages dont les membres m'ont donné, les uns en cachette de leur mari, les autres de leurs enfants ou de leurs héritiers. »

A la même époque, l'abbé Gayet, confrère et ami de Saunière, écrit à ce dernier : « Là, devant ce tribunal, tu connaîtras les chefs d'accusation et tu te défendras de ton mieux. Tu diras à tes juges que la conscience ne te reproche rien et que, pour des raisons d'une importance majeure, tu ne peux divulguer les noms de tes donateurs. Tu leur diras que lu es prêt à leu révéler à Monseigneur, mais seulement dans le secret de la confession. » (12 février 1910).

Je suis persuadé que l'abbé Saunière n'a pas menti et que, comme il est à la fois logique et vraisemblable, les dons qu'il a reçus lui ont seuls permis de mener à bien tant d'entreprises.

Il n'y a dans son extraordinaire histoire qu'un mystère. Un mystère qu'on n'élucidera probablement jamais. Quelle est la provenance de ces dons ?

On en rattache la source principale à cet étranger, ce germain qui vint à plusieurs reprises le voir à Rennes. Un personnage hautement titré, disait-on. Mais qui était-il ? Le saura-t-on jamais ?

Et saura-t-on jamais dans quelle intention cet individu lui a donné tant d'argent ?

Une hypothèse :

Le curé de Rennes avait bien reçu de l'argent, mais pas à titre de fondation charitable. Il rendait service à une ou des personnes, qui, mêlées dans leur pays à des actes répréhensibles, ou, plus vraisemblablement à des intrigues politiques, appréhendaient, si ces actes ou ces intrigues étaient découvertes, de devoir s'expatrier. Le hasard, probablement Alfred Saunière, les mit en rapport avec le curé de Rennes. Et ils imaginèrent de se faire construire par personne interposées, loin de chez eux, dans un pays perdu, une retraite solitaire, ignorée et proche d'une frontière. A cela le curé de Rennes avait grand avantage. Il employait de l'argent à réparer son église, refaire son cimetière, à satisfaire quelques fantaisies. Mais, sachant que cela ne durerait pas toujours il avait créé patiemment, avec l'aide de son frère, tout un trafic de messes destiné à lui assurer, avec le temps, une aisance suffisante. Vers 1900, peut-on penser, l'arrosage était terminé. Mais si une circonstance accidentelle - le décès du principal intéressé - a rendu toute liberté au curé de Rennes en le délivrant à jamais de ses obligations, ne parait-il pas naturel qu'il ait alors profité personnellement de tout ce qu'il avait primitivement entrepris pour le compte d'un autre ? Et qu'il ait donné libre cours à ses fantaisies d'architecte ?

Une fois dépensées à de telles fins, les sommes qu'il avait reçues épuisées, sa seule ressource restait son trafic de messes. Il en vécut largement jusqu'au jour où la curiosité tardive, mais normale, de son évêque interrompit cette entreprise.

Devenu prêtre interdit, il n'avait plus les moyens d'entretenir son domaine, de subvenir aux frais inhérents. Il chercha à vendre, ne le put point. Il emprunta et réduisit considérablement son train de vie.

Mais son comportement n'est nullement celui d'un homme qui a trouvé un trésor et l'exploite.

Le trésor de Rennes n'existe pas.

Mais le secret du curé de Rennes subsiste. Et c'est en lui que réside le mystère.

Bérenger Saunière, le curé aux milliards de Rennes le Château.