La Stèle de Blanchefort et Noël Corbu
En
juillet 1962, le Club des Chercheurs de Trésors, sous la présidence de
Robert Charroux, et le journaliste Robert Arnaut, de France-Inter, enregistrent
une émission à Rennes-le-Château (1). Durant deux parties distinctes, se
déroulant l’une dans l’église et l’autre au cimetière, Robert Charroux
questionne Noël Corbu, l’invité, sur les pierres gravées
(2).
Voici ce qu’ils se disent dans l’église :
Noël
Corbu
L’abbé
Bérenger a essayé de brouiller les pistes parce que d’abord on a plus retrouvé
les parchemins d’abord et ensuite dans le cimetière il y avait une dalle tombale
de la comtesse d’Haupoul Blanchefort dont il a rasé toutes les inscriptions
avec un ciseau à froid pendant plusieurs jours en s’enfermant à clé dans le
cimetière. A tel point que le conseil municipal d’ailleurs s’est ému de la chose
et a interdit de continuer ses travaux. Par conséquent, il avait un intérêt puissant
à brouiller, enfin à détruire, ce genre d’indication.
Robert
Charroux
Alors
cette dalle, elle est dans le cimetière encore ?
Noël
Corbu
Elle
est encore dans le cimetière mais absolument vierge.
Robert
Charroux
Mais
nous pourrons aller la voir tout à l’heure ?
Noël
Corbu
Oui
!
Robert
Charroux
M.
Corbu vient également de nous parler d’un certain M. Cros qui, en 1928, est
venu
chercher et a trouvé dans le cimetière des pierres !
Noël
Corbu
Il a
trouvé une dalle dans le cimetière qui porte des inscriptions précises. Il a trouvé
une autre dalle à Coumesourde qui porte également des indications précises et
il est certain qu’elles ont, comment dirais-je, une signification quelconque.
D’ailleurs
même en prenant les points différents de cette dalle, j’ai fait une triangulation
qui a donné quand même quelques petits résultats.
Robert
Charroux
Vous
avez donc ici des triangles. Je vois SAE – SIS, ce n’est pas la même chose
que
les…
Noël
Corbu
Non,
ça c’est la pierre de Coumesourde qui a été également trouvée par M. Cros qui,
elle, porte d’autres indications. J’ai fait une expérience de triangulation en partant
de points précis qui a donné la découverte d’un monolithe de pierre qui, jusqu’à
présent, n’a pas livré de secret encore !
Robert
Charroux
C’est-à-dire,
vous avez pris les bissectrices de ces angles là, n’est ce pas ?
Noël
Corbu
Oui
Robert
Charroux
Mais
ces angles partent d’où ? Ça représente quoi ces angles ?
Noël
Corbu
Eh
bien, SAE, d’après ce que j’ai pu savoir au point de vue latin, dit Sub
Altarum Iglesias, c’est-à-dire sous le maître-autel de l’église. SIS, c’est
probablement un mot de vieux Français qui signifie ici. Et avec ces deux
points, évidemment on
peut
arriver à faire un triangle équilatéral puisque d’abord Rennes était sous le signe
du Bélier et que le Bélier s’inscrit dans un triangle et en faisant ce triangle
équilatéral et les bissectrices, on tombe à un point précis.
Robert
Charroux
Alors,
il vous faudrait, pour obtenir davantage de renseignements, savoir les indications
qui figuraient sur les pierres de Rennes-le-Château qui ont été emportées à
Paris par M. Cros.
Noël
Corbu
Exactement.
C’est-à-dire que ces deux pierres ont été emportées par M. Cros à Paris et, il
est certain qu’il manque des mots et je serais heureux de retrouver ces pierres
pour, avec les procédés modernes de détection, retrouver les mots qui
manquent.
Robert
Charroux
Bon
alors en somme, on pourrait lancer un message aux parisiens en leur disant quelque
part dans Paris, peut-être dans un musée…
Noël
Corbu
…
musée lapidaire oui…
Robert
Charroux
…
dans un musée lapidaire, peut-être dans une famille, quelqu’un, où il existe
ces pierres…
Noël
Corbu
…
oui, ce sont deux pierres de forme triangulaire assez grossière d’ailleurs …
Robert
Charroux
…quelles
dimensions ?
Noël
Corbu
Eh
bien, elle doit faire un demi mètre carré à peu près.
Robert
Charroux
Un
demi mètre carré, ça fait trente centimètres de long ?
Noël
Corbu
Trente
à quarante centimètres de long oui, à peu près. Et avec les inscriptions, si on
trouve les inscriptions – parce que les pierres, je les connais assez mal – ce
sont surtout les inscriptions qui aideront pour arriver à les identifier. Vous
avez à l’extrémité supérieure P et S, REDDIS -R.E.D.D.I.S-, REGIS –R.E.G.I.S-.
En dessous de Reddis vous avez CELLIS –C.E.2L.I.S-, qui sont séparées
d’ailleurs par des barres, ensuite vous avez ARCIS qui est sous Regis
–A.R.C.I.S-, et en bas vous avez P.R.A.E trait d’union CUM –C.U.M-.
Robert
Charroux
Alors
voilà : si des parisiens savent où existent ces pierres qui portent en particulier
les mots Reddis, Cellis, Regis, Arcis et Prae-cum, eh bien nous leur demanderions
de bien vouloir se mettre en relation avec la Radio Diffusion Française, France
1 – Club des chercheurs de trésors – et de nous dire si ces pierres existent et
où elles existent. Voici les mots qui se trouvent sur la deuxième pierre que M.
Corbu recherche. M. Corbu, je vous cède la parole.
Noël
Corbu
Alors,
vous avez à l’extrémité du triangle S.A.E. A la seconde S.I.S. A un tiers, à peu
près, vous avez IN MEDIO avec une croix pattée, une croix pattée templière. Vous
avez sur le côté LINEA UBI. En dessous M SECAT –S.E.C.A.T-, ensuite LINEA
PARVAT. Vous avez ensuite P.S puis PRAE-CUM de nouveau et une croix templière
qui termine la troisième branche du triangle. (3)
____________________
La suite de cette conversation se poursuit dans le cimetière.
Robert
Charroux
Alors
la dalle de la Comtesse, c’est ceci ? C’est ce que nous voyons là ?
Noël
Corbu
La
dalle de la Comtesse, c’est cette dalle qui est là, qui est absolument vierge
de toutes inscriptions puisque le curé les a…
Robert
Charroux
…
burinées ?
Noël
Corbu
…
burinées d’une façon parfaite. Maintenant, je pense qu’on arrivera, peut-être dans
un certain temps, à refaire réapparaître ces inscriptions avec des – comment dirais-je
- des procédés un peu spéciaux.
Robert
Charroux
Chimiques
?
Noël
Corbu
Chimiques
et surtout optiques.
Robert
Charroux
Est-ce
que la dalle est à l’endroit ou à l’envers actuellement ?
Noël
Corbu
Eh
bien, on ne peut pas le savoir parce que les deux côtés sont semblables.
Robert
Charroux
Elle
paraît parfaitement polie ?
Noël
Corbu
Parfaitement
polie.
Robert
Charroux
En
tous cas, il n’y a absolument rien. Nous détectons déjà depuis quelques minutes
sur cette dalle et autour de la dalle, nous avons commencé à quatre ou cinq
mètres, et alors là, vraiment, vraiment, il n’y a absolument aucun pouce de métal
dans les parages.
____________________
Dans
la première partie du dialogue enregistré dans l’église, après que Noël Corbu
évoque rapidement la dalle dans l’ossuaire, Robert Charroux propose d'aller la
voir plus tard dans le cimetière. Ensuite, le restaurateur reprend les termes
du document anonyme attribué à l’ingénieur Ernest Cros, qui circulait au plus
tôt à Rennes-le-Château fin 1959 (4), pour décrire la pierre de Coumesourde et
la dalle Reddis Regis Cellis Arcis. Persuadé qu’elles se trouvent toutes
les deux à Paris, Noël Corbu profite alors de l’invitation de Robert Charroux pour
adresser un avis de recherche à destination de la Capitale dans l’espoir de les
retrouver afin de faire réapparaître, par des procédés modernes, les mots qu’il
croit manquants. A cet effet, il entreprend à l’antenne d’épeler un à un les
mots gravés sur ces deux pierres.
Dans
la seconde partie, qui a lieu dans le cimetière, Noël Corbu évoque cette fois
la pierre de la dame de Blanchefort dont les inscriptions ont été, dit-il,
burinées par Bérenger Saunière. Il nourrit cependant l’espoir de les faire
réapparaître en employant des procédés chimiques et optiques !
Ce
que dit Noël Corbu à propos de la dalle dans l’ossuaire durant son intervention
dans le cimetière montre indéniablement qu’il avait bien connaissance, par des
témoignages de villageois notamment, de l’existence passée d’une pierre
comportant des inscriptions, sise à l’origine sur la tombe de la seigneuresse
de Rennes-le-Château.
Les
nombreux articles qui paraissent durant les années cinquante et jusqu'au début
des soixante dans la presse régionale et nationale se font généralement l’écho
de la version Corbu ; ce qui permet, au fur et à mesure des publications, de
juger de l'état de ses connaissances.
C’est
le cas notamment de celui des époux Ribière, paru en janvier 1958 dans le
numéro 56 de la revue Tout Savoir, qui furent reçus et accompagnés dans
leur visite des lieux par leur hôte qui leur ouvra par la même sa documentation
(5). C’est ainsi que, par leur plume, ce dernier situe dans l’ossuaire la dalle
de la marquise. Il en fera de même en 1962, année de l'enregistrement de
l’émission de Robert Arnaut comme l'indique encore Robert Charroux, sous son
pseudonyme d'Yves Saint-Saviol, dans un texte publié dans le journal Noir et
Blanc
sous
le titre La Chasse aux milliards est ouverte : on va sortir les trésors de
leurs cachettes.
On
se demande encore pourquoi l’étonnant curé s’acharna à effacer toutes les
inscriptions du tombeau de la comtesse de Blanchefort (ci-dessus) dans le
cimetière qu’il avait fait cerner d’un mur (ci-contre). Sa fortune nouvelle et
mystérieuse, l’abbé Saunières l’employa encore à faire ériger la tour « Magdala
», dominant un admirable paysage, au bord du ravin escarpé. Dans le village, près
des ruines du châteaufort, il fit construire la moderne « Villa Bethanie », qui
lui servit de nouveau presbytère.
Extrait
de l'article de Micheline et Jean Ribière
On
peut également remarquer que, durant la période 1956 - 1967, la pierre dans
l’ossuaire est généralement décrite comme étant "une dalle" ou
"une pierre tombale". Dans aucun document (environ 70), cette pierre
n'est décrite comme étant "une stèle". C'est exclusivement le document
apocryphe Les descendants mérovingiens ou l’énigme du Razès wisigoth par
Madeleine Blancasall, dont la date du dépôt légal à la Bibliothèque Nationale
est le 28 août 1965, qui, le premier, signale sa position "levée".
C'est encore dans ce document que figure, depuis le document Tisseyre de
1906, la seconde reproduction de cette pierre « d’après les
archives
de la Société scientifique de l’Aude » précise encore l’apocryphe
(6).
PIERRES
TOMBALES :
Reproduction
d’après les archives de la Société Scientifique de l’Aude à Carcassonne des
trois "dalles" étranges de Rennes-le-Château, La 1ère, celle de SIGEBERT
IV, de SIGEBERT V & de BERA III, posée en 771.
La 2ème
& 3ème, l'une levée, l'autre couchée, sont avec code la première dalle se
trouvait dans l'église de Ste. Madeleine, en 1891.
La
deuxième et troisième dalles formaient la tombe des femmes de BLANCHEFORT dans
le cimetière près du clocher de l'église.
M.
B.
Extrait
de Madeleine Blancasall (7)
Photographie
publiée en 1962 dans le journal Noir et Blanc (8)
Mais
il est probable que ce texte anonyme de Madeleine Blancasall connut peu
de lecteurs à Rennes-le-Château. Il faut attendre 1967, la sortie de L’Or de
Rennes, pour que Gérard de Sède le fasse connaître en s'en inspirant pour
son récit et en le mentionnant dans sa bibliographie (9).
L'indice
révélateur permettant de dire que la pierre de la marquise était levée est,
bien sûr, la forme particulière de son sommet en pointe. Ce qui, de facto, dans
les esprits, la fait immédiatement se redresser ! On la distinguera dès lors
des autres pierres par l’appellation "stèle". Or, quand il
parle de cette pierre, Noël Corbu désigne celle couchée dans l’ossuaire qui, à
cette époque, était rectangulaire ! C'est aussi par confusion qu'il attribue,
dans l'émission radiophonique de 1962, une forme triangulaire aux deux autres
dalles, la Reddis Regis Cellis Arcis et celle de Coumesourde, qu'il
croit à Paris et pour lesquelles il dit en substance : « « ce sont deux
pierres de forme triangulaire assez grossière d’ailleurs … ».
En
désignant la dalle rectangulaire couchée dans l'ossuaire, Noël Corbu prouve
immanquablement
qu'il ne connaissait pas la forme particulière de la pierre, en pointe, reproduite
dans le bulletin de 1906 de la Sésa.
Mais
ce qu’il dit encore sur cette pierre indique également qu’il en ignorait le
texte. Dans l'article de 1958 du couple Ribière, ceux-ci, reproduisant la
version "Corbu", situent le décès de la comtesse de
Blanchefort aux environs de 1600 ! Comment l'hôtelier aurait-il pu leur communiquer
une information aussi erronée s'il avait eu connaissance de l'épitaphe où cette
date de 1781 est clairement citée ? C'est par le rapport attribué à l'ingénieur
Cros que Noël Corbu apprendra la date exacte de ce décès : le 17ème jour du
mois de janvier 1781, à l'âge de 61 ans. Sa méconnaissance du texte sur la
stèle est la raison pour laquelle il nourrit l'espoir de
le
faire réapparaître : « Maintenant, je pense qu’on arrivera, peut-être dans
un certain temps, à refaire réapparaître ces inscriptions avec des –comment
dirais-je- des procédés un peu spéciaux ».
Mais
son ignorance de l’épitaphe gravée et celle de sa forme, qui en fait une pierre
levée, prouve également qu’à l’époque où fut enregistrée cette émission
radiophonique, en juillet 1962, Noël Corbu ne connaissait pas le compte-rendu
de l’excursion organisée par Elie Tisseyre en 1905 qui comporte la
représentation graphique de cette pierre. Et cela même, suprême paradoxe, s’il
fut membre de la Société d’Etudes Scientifiques de l’Aude …
Patrick
Mensior
novembre
2008
La suite de cette étude, La Stèle de Blanchefort, Noël
Corbu, et Pierre
Plantard, est
publiée dans le bulletin n° 5, Parle-moi de Rennes-le-Château,
paru en septembre 2008 : http://jhaldezos.free.fr/livres/periodiques.html
(1)
Un article de La Dépêche du Midi du 1er août 1962 dont le titre est Lorsque
le Club des Chercheurs de trésors et la R.T.F. s’intéressent à
Rennes-le-Château indique que le livre Trésors du Monde (Fayard) de
Robert Charroux fut publié avant l’enregistrement de l’émission radiophonique
de juillet 1962.
(2)
Le texte de cette émission est intégralement retranscrit dans le bulletin Parle-moi
de RLC de 2005 (pages 23 à 40).
Dans
sa version sonore, l’émission peut être écoutée sur le site internet de
l’association RLC.doc :
http://jhaldezos.free.fr/pageprincipale/rcharrouxsonore.html
(3)
Dans La Dépêche du Midi du 1er août 1962 déjà cité, l’auteur de article
retraçant les détections faites durant l’émission radiophonique de juillet 1962
lance un appel pour tenter de retrouver les deux pierres décrites par Noël
Corbu : Appel aux auditeurs parisiens. Ils sont d’autant plus permis ces
espoirs qu’un appel sera lancé sur les ondes pour retrouver deux pierres
triangulaires portant diverses inscriptions clé. Ces deux pierres seraient à
Paris. L’une porte les inscriptions
suivantes
: « P.S. reddis celis regis arcis praecum » et l’autre : « Sae sus in media
linea ubi M cecat linea parva P.S. praecum. ».
(4)
C’est le document lui-même qui apporte cette précision en évoquant la disparition
d’un croix près de Lavaldieu au début 1959.
(5)
Cet article est lisible sur le site à l'adresse : http://jhaldezos.free.fr/pressetmagazines/Tout_Savoir_1958.html
(6)
A la différence de la version remaniée du document Blancasall publié en 1994 dans
la collection "Couleur Ocre" qui montre la stèle de la
marquise via la page 6 du tiré à part du compte rendu d'excursion, l'original
Blancasall de 1965 montre la
page
101 du bulletin de la Sésa.
(7)
Dans son commentaire, l'apocryphe précise encore que les trois étranges dalles
(celle du chevalier, la stèle de la marquise et celle Reddis Regis Cellis
Arcis) sont reproduites d'après les archives de la Sésa. C'est exact pour
les deux premières,
puisque
la dalle du chevalier a été reproduite en 1927 par Henri Guy (Bull. Sésa, tome
XXXI, p. 197), tandis que la stèle de la marquise figure à la page 101 du tome
XVII du bulletin de la Sésa paru en 1906. Mais c'est entièrement faux pour ce
qui concerne la troisième pierre (Reddis Regis Cellis Arcis) qui
n’apparaît en fait que vers 1961 dans le rapport attribué à Ernest Cros avec
des inscriptions moindres que celles données dans l'apocryphe.
La
version corrigée du document "Blancassal" de 1994 donne le
commentaire suivant : « La deuxième dalle (la stèle) formait la tombe
des femmes de Blanchefort, dans le cimetière, près du clocher de l'église. » qui
est différent de celui du document original qui indique : « La deuxième et
troisième dalle formaient la tombe des femmes de Blanchefort dans le cimetière
près du clocher de l’église. ».
(8)
Avant d’être cassée en trois morceaux, en juillet 1971, la dalle de l’ossuaire
mesurait 145 à 146 centimètres de longueur, 69 à 70 centimètres de largeur et
11,5 à 12 centimètres d’épaisseur.
(9) L'Or
de Rennes, Julliard 1967, p. 179. Signalons toutefois que jamais l’original
de ce document n’a été publié jusqu’à Récemment sur le présent site : http://jhaldezos.free.fr/elements_insolites/Madeleine_Blancasall.html
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